Journées d’étude 2009: captations vidéo

Les journées d’étude 2009 de la Société avaient pour titre « ethnographies du copyright ». Les liens ci-dessous permettent d’accéder aux résumés de chaque communication. Les astérisques (*) signalent qu’une vidéo est disponible. (L’absence de cette dernière pour certaines présentations est due soit au souhait du conférencier soit, plus souvent, à des problèmes techniques lors de la captation.) 

Par ordre alphabétique

Laurent Aubert : L’impossible contrat, ou lorsque deux logiques s’affrontent*

Philippe Aigrain : Le contexte politique et culturel des batailles du droit d’auteur

Danièle Bourcier : Les Musiques du Monde face au droit d’auteur : les licences Creative Commons sont-elles une solution ?*

Magali De Ruyter : Babongo’s touch : modlaités de propriété rituelle et représentation de la compétence musicale des Babongo (Gabon)

Jean During : Les droits de l’ethnomusicologue : arguments pour un renversement de perspective*

Michel Guignard : Le cas de l’ethnie Maure*

Christine Guillebaud : Copie, parodie, remake : musiques régionales et industrie cinématographique en Inde*

Antoine Hennion : Soli Dei Gloria

Julien Jugand : Une musique sans œuvre et sans compositeur ? Réflexions sur la notion de « composition » dans la tradition classique de l’Inde du Nord

Guillaume Kosmicki : Musique techno, mix, samples : un défi à la notion de propriété*

Jean Lambert et Pribislav Pitoëff : Copyright et archives sonores au Musée de l’Homme*

Bernard Lortat-Jacob : Pratiques illégales, lois illégitimes ?

Julien Mallet : Institutions, marché et aoly : ordres et désordres autour d’une jeune musique de Madagascar*

Pierre-André Mangolte : Copyright et propriété intellectuelle, retour sur un vieux débat, l’exemple américain*

Rosalia Martinez : Déontologies et pratiques ethnomusicologiques*

Guillaume Samson : Propriété intellectuelle, statut des oeuvres et modes de création musicale dans le maloya réunionnais

Victor A. Stoichiţă : Autour de la « création musicale collective »

Laurent Aubert

(Ateliers d’Ethnomusicologie, Genève)

L’impossible contrat, ou lorsque deux logiques s’affrontent

Chaque disque publié dans la collection AIMP (Archives internationales de musique populaire) fait, comme il se doit, l’objet d’un « Contrat de cession et d’édition d’enregistrements musicaux », établi soit avec « l’artiste » (l’interprète ou son représentant légal), soit, plus fréquemment, avec « l’auteur », c’est-à-dire la personne – ethnomusicologue, anthropologue ou preneur de sons – ayant réalisé les enregistrements, ainsi, généralement, que les textes et les photos qui les accompagnent. Dans ce dernier cas, le contrat stipule que l’auteur garantit être en possession des droits de cession des enregistrements concernés. Certes commode, cette formulation pose cependant certains problèmes déontologiques : un projet de CD proposé par un ami anthropologue sur la musique des Awajún, communauté amérindienne d’Amazonie péruvienne avec laquelle il travaille, me l’a récemment démontré. Des notions comme celles de droit d’auteur ou de propriété intellectuelle s’accordent en effet mal avec les codes en vigueur chez les Awajún : que faire alors lorsque deux logiques et deux systèmes juridiques s’affrontent ?

                                      

Philippe Aigrain

(Sopinspace, Société pour les espaces publics d’information)

Le contexte politique et culturel des batailles du droit d’auteur

L’intervention situera les questions de droits intellectuels dans le contexte de l’irruption des techniques informationnelles. Elle expliquera pourquoi les transformations induites rendent impossible un immobilisme de la définition des droits, et retracera brièvement les choix effectués dans les 30 dernières années en faveur d’extension des droits restrictifs à de nouveaux objets, de limitation des droits d’usage et de modification des modes d’exécution.

L’intervenant présentera son approche de définition positive des droits intellectuels (reposant la capacité à obtenir des résultats et non nécessairement sur les droits à restreindre ou interdire). En particulier il discutera :

– Une conception des droits économiques laissant ouvertes les moyens de les garantir et son application au financement mutualisé de la création musicale.

– Les questions ouvertes en matière de droits liés aux cultures traditionnelles et la disjonction possible entre définition des droits d’usage, gouvernance communautaire et juste retour.

– le déplacement souhaitable de partie des droits moraux de la sphère de la loi vers celle des conventions.

[Vidéo non disponible]

Danièle Bourcier

(CNRS, Creative Commons France)

Les Musiques du Monde face au droit d’auteur : les licences Creative Commons sont-elles une solution ?

Internet a créé un nouvel environnement où les musiques sont libres, et la radio ne propose pas autre chose depuis des années. Mais libre ne veut pas dire gratuit. Il convient de protéger les auteurs mais on n’est pas obligé de faire appel au droit de la propriété. Les bandes perforées pour piano mécanique ont au départ été considérées comme des copies de partitions; finalement un autre équilibre a été trouvé par la licence globale. Nous en sommes aujourd’hui à un point crucial de l’évolution de la notion d’accès du public aux biens communs culturels. Mais le droit d’auteur limite son dispositif à la notion de bien privé et exclusif et cette conception rencontre de plus en plus de résistance. L’initiative de Creative Commons est née en 2002 aux Etats-unis de cette incapacité des politiques à penser autrement les droits et surtout la liberté des auteurs. Désormais traduites dans plus de 50 pays dont la France, les licences Creative commons accessibles gratuitement sur Internet (fr.creativecommons.fr) donnent le choix aux auteurs de décider s’ils veulent que leur musique ou leurs photos ou leurs livres soient distribués partagés, réutilisés, gratuitement ou non. Est-ce la solution? Plus de 200 000 d’oeuvres sont « taggées » actuellement avec ces licences qui sécurisent aussi le monde d’Internet. D’autres solutions existent mais les CC au-delà des licences sont devenues des communautés de créateurs qui dialoguent et font circuler leurs oeuvres en toute liberté. Des questions subsistent sur les biens collectifs, sur les usages successifs des œuvres mais pour l’instant le dispositif semble satisfaire une bonne partie des auteurs qui veulent entretenir un autre rapport au public, grand inconnu du droit d’auteur classique. Des exemples de Musiques du monde mises sous de telles licences illustreront notre propos.

                                

Magali De Ruyter

 

(Doctorante Paris-Ouest Nanterre, CREM, Musée du Quai Branly)

Babongo’s touch : modalités de propriété rituelle et représentation de la compétence musicale des Babongo (Gabon)

Dans le centre-sud du Gabon, trois populations voisines – Babongo, Mitsogo, Masango –partagent un certain nombre de répertoires musicaux rituels. Les discours sur la « propriété intellectuelle » de ces derniers font rarement consensus. Les Babongo en proposent une version soulignant leur lien privilégié avec ces répertoires, et centrée sur trois déclinaisons (initiatique, mythologique, ethnique) de la distinction entre « eux » et « nous ». Ainsi familiers de l’ensemble des répertoires connus de leurs voisins, les Babongo excluent du partage leurs répertoires propres. Après avoir passé en revue les différentes modalités d’appropriation musicale et rituelle, je montrerai que l’expertise musicale des Babongo s’étend à leurs qualités d’interprètes. Leur statut de Pygmées, qui les assigne simultanément au rang le plus bas de l’échelle sociale et à celui de héros civilisateur des récits mythiques, entre en jeu dans l’évaluation de leurs compétences musicales. Au nombre de celles-ci figure un dynamisme exacerbé qui se traduit par une capacité particulière à faire circuler les chants, d’un village à un autre mais aussi d’un répertoire à un autre, intégrant jusqu’aux chansons issues des cassettes audio commercialisées. Cet engouement des Babongo pour la musique dans toutes ses formes, sa circulation et ses manipulations, créé souvent la surprise au sein des rituels. Je terminerai en proposant la notion de surprise comme marque de fabrique musicale des Babongo.

 

Jean During

(CNRS, Centre de Recherche en Ethnomusicologie)

Les droits de l’ethnomusicologue : arguments pour un renversement de perspective

Copyright suppose l’existence d’une œuvre, d’un auteur et de droits d’exploitation ou copie. D’emblée, l’ethnomusicologue est tenté de réfuter l’universalité des notions d’oeuvre ainsi que d’auteur ou de propriété. Ensuite, concernant les publications de CD ou d’autres supports, la question des droits est presque toujours envisagée dans le souci de défendre les intérêts des musiciens. Fort bien, mais qu’en est-il du droit – au moins moral – du collecteur et du maître d’oeuvre ? Les réflexions proposées dans cette brève intervention s’appuient sur une bonne expérience de la publication de CD (plus d’une quarantaine) dans les contextes culturels et les conditions les plus variées. Qu’il s’agisse de rituels soufis standards ou spécialement organisés, de collecte de chants de bardes amateurs ou professionnels, d’anthologies consacrées à un instrument, d’exhumation d’archives, de répertoires savants préparés sur commande durant une ou plusieurs années, de CDs consacrés à un seul artiste ou de patchwork panoramique d’une culture donnée, à chaque fois, l’ethnomusicologue est lié aux acteurs par un contrat moral et matériel différent.

                                

Michel Guignard

Le cas de l’ethnie maure

L’ethnie maure dispose à la fois de musiques populaires et de la musique savante des griots. La question du copyright se pose surtout chez les seconds. Ceux-ci disposent d’un système musical et d’un répertoire traditionnel communs. Les variantes dans la réalisation « appartiennent » à une région, une famille, ou un griot. Elles portent sur la musique elle même, et sur le style et la qualité de l’exécution. Les griots connus sont immédiatement reconnus. La « modernité » introduit une difficulté supplémentaire due au reformatage des textes anciens et à leur hybridation avec des accompagnements de world music pas forcément originaux. Actuellement, le développement de la diffusion des cassettes et CD rend la situation confuse. La revendication d’une valorisation financière de leur travail est assez générale mais se pose en termes différents dans le pays et à l’international.

                                

Christine Guillebaud

(CNRS, Centre de Recherche en Ethnomusicologie)

Copie, parodie, remake : musiques régionales et industrie cinématographique en Inde

En Inde, la musique filmi s’inspire des genres les plus divers – du rock au hip-hop, en passant par la musique symphonique, les traditions classiques indiennes ou encore les nombreux répertoires régionaux. Plusieurs chercheurs ont analysé les processus de création à l’œuvre dans la production cinématographique – comme la parodie, le remake ou la narration visuelle. À partir de ces travaux récents, nous montrerons comment la problématique de la « propriété » semble peu pertinente dans ce contexte de production où la multiplicité des sources est cultivée pour elle-même. Nous analyserons ensuite le cas d’une chanson produite en 1999, issue du répertoire des spécialistes de caste manganiyar et recomposée en studio pour le film. Ce procédé courant, loin d’être une simple imitation d’une oeuvre « originale », questionne la notion de propriété sous un angle différent. En effet, suite au succès de la chanson, les musiciens manganiyar semblent avoir aussi intégré certains éléments formels de la composition filmi et les valorisent aujourd’hui au sein de leur répertoire, notamment lors de leurs concerts sur les scènes de festivals de musique du Monde. On montrera enfin comment, dans ce marché prolifique où la copie (illégale) des enregistrements est généralisée, les musiciens les plus socialement marginalisés ont ainsi bénéficié de nouveaux espaces de diffusion.

                                

Antoine Hennion

(École des Mines)

Soli Dei Gloria

Peu de domaines se prêtent plus à l’écriture du passé dans les catégories du présent que « la musique classique », ce curieux objet flottant au dessus du temps, souvent borné par un caractéristique « de Bach-à-Debussy ». Le mot « classique » marque très bien cette production croisée du passé par le présent et du présent par le passé : un présent qui se grandit de la grandeur qu’il reconnaît dans le passé, un passé qui se trouve grandi par le respect que le présent lui porte. Mécanisme complexe, profondément ambivalent, puisque son succès même, en rendant présent le passé, réduit son altérité, parfois jusqu’à une totale assimilation – quoi de moins historique, en effet, qu’une histoire de la musique dont le premier geste est de faire marcher vers nous, en une longue procession, la cohorte bigarrée des compositeurs de tous les temps, venant tels les Rois mages nous offrir leurs « présents »…? Au coeur de cette production d’une histoire sans historicité, il y a quelques notions-clés : l’œuvre, l’auteur, le public – en somme, le vocabulaire de base du copyright. Revenir sur le cas de Bach consisterait moins à critiquer l’anachronisme manifeste qui fait pour nous de lui un auteur (faire une histoire de la notion d’auteur), que de comprendre comment il l’est devenu (faire l’archéologie d’un auteur de l’histoire). Autre façon de lui reconnaître son droit d’auteur : non pas tant sur ses œuvres, que sur la musique comme histoire.

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Julien Jugand

(Doctorant Paris-Ouest Nanterre, Centre de Recherche en Ethnomusicologie)

Une musique sans œuvre et sans compositeur ? Réflexions sur la notion de « composition » dans la tradition classique de l’Inde du Nord

Ce que l’on traduit couramment dans les recherches anglophones sur la musique hindustani par le terme « composition » correspond à une courte formule mélodico-rythmique et, principalement dans le cas du chant, à un poème lyrique. Elle ne représente ainsi qu’une partie infime de la prestation d’un musicien. Pourtant, ces compositions sont l’objet d’enjeux tout particulier. Leur qualité est fort appréciée par les connaisseurs et leur éventuelle rareté peut constituer une fierté, voire un trésor jalousement gardé pour le musicien les connaissant. Dans la musique vocale en particulier, elles sont des vecteurs privilégiés de l’expérience esthétique et émotionnelle. La « valeur » d’une composition est en partie fonction de la personne qui en est l’auteur (souvent supposé). Certains musiciens du Moyen Âge indien sont présentés comme des figures de proue de cette tradition et nombre de compositions encore jouées actuellement leurs sont attribuées. Apparaissent alors en filigrane les questions de légitimité et de distinction entre les lignages musicaux et les savoirs qui leurs sont associés. Réfléchir à la notion de composition (et à celle de « compositeur ») permettra également d’aborder sous un jour particulier certains processus sociaux spécifiques au milieu musical hindustani : la construction des généalogies musicales, l’influence des institutions d’enseignement, le rapport des musiciens à un public changeant, etc.

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Guillaume Kosmicki

Musique techno, mix, samples : un défi à la notion de propriété

La musique techno est l’aboutissement de l’art des disc-jokeys, qui recomposent dans leurs mixes un nouvel univers sonore à partir de disques différents, parfois avec une grande virtuosité. Elle est aussi la musique qui célèbre l’avènement des technologies numériques du son, principalement au travers de l’échantillonnage, dont elle est particulièrement friande. Les samples peuvent être issus de n’importe quelle origine, et bien sûr aussi des extraits de films ou de musique. Ils sont parfois totalement déformés et donc non reconnaissables, d’autres fois légèrement modifiés, ou encore laissés tels quels, comme des clichés ou des clins d’oeil. Le mix et le sample sont les deux gestes esthétiques essentiels de la techno et consacrent les notions de recyclage et de réappropriation, fondamentales pour comprendre cette musique. Mais au delà de l’esthétique, il s’agit là d’une des revendications majeures du mouvement free party, la frange la plus radicale réunie autour de la techno. La notion de propriété y est profondément remise en cause au profit de celles de l’appartenance communautaire, du squat, du nomadisme, du DIY (Do It Yourself) etc. La musique du mouvement free party est donc le reflet exact de ses valeurs.

   

Jean Lambert (MNHN, CREM) et Pribislav Pitoëff (CNRS, CREM)

Copyright et archives sonores au Musée de l’Homme

La Phonothèque du CREM (plus de 800 collections d’enregistrements originaux) a entrepris une grande consultation des déposants d’archives sonores au Musée de l’Homme. Un contrat adapté aux exigences de la consultation et de la reproduction a été soumis à tous les déposants, afin de leur faire préciser par écrit toutes les clauses possibles d’autorisation ou de restriction de diffusion et d’exploitation des archives qu’ils avaient déposées. Ce fond pose en effet des problèmes juridiques inédits. Le transfert de responsabilité de la conservation des originaux à la Bibliothèque Nationale de France, qui était devenu indispensable, créée un nouvel étage dans l’emboîtement des vertèbres du serpent de mer que représente la chaîne des droits : si celle-ci commençait avec un auteur anonyme, se continuait avec un interprète indigène souvent collectif, se poursuivait par un collecteur apportant des formes très diverses de plus-value à la matière musicale, puis à l’autre bout le CNRS et le Museum National d’Histoire Naturelle, elle se poursuit maintenant avec la BNF qui devient un « dépositaire secondaire ». Diluant encore plus cette chaîne de responsabilités, ces transformations rendent les questions de droit particulièrement byzantines. Par ailleurs, l’exploitation de ces fonds, à partir du moment où ils sont numérisés, décuple elle aussi la casuistique juridique, créant des situations inédites (en particulier avec Internet). Même si la maîtrise des données scientifiques reste le meilleur garant du contrôle du bon usage de ces documents inestimables, la réflexion juridique devient indispensable pour les ethnomusicologues, ne serait-ce que pour assurer une bonne coopération entre institutions patrimoniales et scientifiques.

   

Bernard Lortat-Jacob

(CNRS, Centre de Recherche en Ethnomusicologie)

Pratiques illégales, lois illégitimes ?

Le problème des droits d’auteur dans les cultures orales encore bien vivantes pose de nombreux problèmes à l’ethnomusicologue. En Sardaigne notamment (mais aussi en France, comme chacun sait), il existe bien une loi régissant des droits d’auteur (la Società Italiana Autori e Editori, créée en 1941) qui concerne les œuvres ayant un « caractère créatif ». Poser le problème des droits d’auteur revient donc à poser le problème de ce qu’est ce fameux « caractère créatif » et plus largement à reposer la question de la capacité créative de la tradition.

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Julien Mallet

(IRD, président de la SFE)

Institutions, marché et aoly : ordres et désordres autour d’une jeune musique de Madagascar

Né de la rencontre d’influences multiples, le tsapiky révèle une grammaire propre lui permettant de s’affirmer dans des contextes de divertissement ou de cérémonies, comme genre musical partagé à l’échelle de la région de Tuléar (Sud-Ouest de Madagascar). La ville est le lieu privilégié où s’affirme son institutionnalisation fragile et balbutiante. Là, s’affrontent des intérêts suscités par un marché dont les règles ne sont pas clairement fixées, laissant toutes leurs places à des pratiques nourries de valeurs et de comportements venus de l’ordre villageois (cf. le recours aux aoly : amulettes, sorts, comme moyen d’action et d’interprétation). Partie prenante du rituel dans lequel il fait sens, le fonctionnement du tsapiky lui permet de construire et conduire en partie l’événement, de s’y inscrire comme production plutôt que produit. Il n’en demeure pas moins que les musiciens de tsapiky sont des professionnels, inscrits à l’OMDA (office malgache des droits d’auteurs), composent et jouent des « morceaux » diffusés par les cassettes, la radio et les vidéo-clips. Lorsqu’ils jouent pour une cérémonie, c’est aussi au regard de ces considérations. Inscrits dans une certaine marginalité, pris entre plusieurs mondes, les musiciens inventent et réinventent de multiples gestions de l’acculturation, de nouveaux espaces de créativité. En partant de ces considérations, il s’agira d’interroger les notions de création, appropriation, composition, reproduction, propriété… tout en les situant dans les différentes interactions au sein desquelles cette jeune musique, prise entre contraintes et libertés, se crée et évolue.

   

Pierre-André Mangolte

(Centre d’Économie de l’Université Paris Nord-CNRS)

Copyright et propriété intellectuelle, retour sur un vieux débat, l’exemple américain

À l’heure actuelle, on parle souvent du copyright comme étant un « droit de propriété » en évoquant alors une certaine « propriété intellectuelle ». On rattache ainsi (explicitement parfois) les droits accordés au principe général de la propriété, alors que le droit de copyright n’est toujours qu’un ensemble de droits spécifiés et limités (bundle of entitlements), attribué à un auteur individuel. En pratique d’ailleurs, le copyright peut couvrir les choses les plus diverses, des livres aux étiquettes de boîtes de conserve en passant par les films, les pantomimes, les logiciels, les enregistrements musicaux, etc., et le terme « auteur » lui-même signifie plus facilement une entreprise qu’un être humain. Pourtant, à l’origine, l’institution était simplement faite pour réguler une industrie particulière, celle de l’édition et du commerce des livres, par l’attribution aux auteurs d’un privilège temporaire d’impression et ré-impression de leurs livres. Mais le copyright va progressivement se transformer au cours du temps et l’institution changer de sens, ce que je voudrai retracer dans ma communication à partir de l’exemple des Etats-Unis, en étudiant plus particulièrement les évolutions du XIXe siècle. Il s’agira donc d’analyser la situation au début du siècle (loi de 1790, etc.) et les représentations de l’institution à l’époque, avec le débat sur le « copyright perpétuel en commun law ». J’expliquerai ensuite l’évolution de la jurisprudence au XIXe siècle, laquelle va construire une conception plus large des droits accordés et une nouvelle définition de l’œuvre comme « création intellectuelle », une sorte de bien intangible et incorporel dont la propriété donne alors un droit exclusif de contrôle et de prélèvement sur tout un ensemble de valeurs marchandes et marchés dérivés. Cette conception est la base de la refonte de la loi en 1909, et permettra, moyennant certaines fictions juridiques et règles particulières (work-for-hire, etc.), l’intégration des nouvelles industries culturelles qui émergent à cette époque et au cours du XXe siècle.

   

Projection utilisée par Pierre-André Mangolte (format Openoffice).

Rosalia Martinez

(Université Paris 8, Centre de Recherche en Ethnomusicologie)

Déontologies et pratiques ethnomusicologiques

Chaque ethnomusicologue construit sur le terrain une déontologie qui lui est propre. Mettant en jeu des questions telles que la restitution du savoir ou le rôle de médiateur avec l’extérieur, cette déontologie – qui se structure souvent dans le doute – est un élément central de l’expérience de l’altérité et de l’échange. Et pourtant, cette partie du métier est souvent passée sous silence. Sur quelles bases s’opère l’interaction ? A quels types d’attente les ethnomusicologues sont-ils confrontés sur leurs terrains respectifs ? Au-delà de la diversité de ces derniers, existerait-il une spécificité des relations qui se tissent autour de l’objet musique ? Invitation à la réflexion collective.

   

Lionel Pourteau

(CEAQ, Université Sorbonne Paris V)

Les impuissances administratives à l’aune de la techno

   

Guillaume Samson

(Chargé de mission au Pôle Régional des Musiques Actuelles de La Réunion)

Propriété intellectuelle, statut des œuvres et modes de création musicale dans le maloya réunionnais

Participant d’un renouveau culturel et religieux, le maloya néo-traditionnel réunionnais s’inscrit dans des contextes de performances divers (liés principalement au culte des ancêtres, à l’industrie du disque, au spectacle vivant et au tourisme). En terme de création, cette diversité implique de répondre à des aspirations fortes en matière de représentativité et d’identité culturelle tout en se positionnant artistiquement au sein d’un environnement concurrentiel qui impose de mettre en valeur une créativité individuelle. Cette tension qui s’établit entre représentativité culturelle d’un côté et originalité artistique de l’autre interroge le statut et la valeur accordés aux innovations musicales et textuelles. L’émergence de nouveaux répertoires et de nouvelles identités stylistiques est ainsi constamment tiraillée entre l’affiliation à une « Tradition » (ou à un patrimoine collectif) et la revendication de paternité et de propriété artistiques. Pour illustrer cette problématique, nous présenterons dans un premier temps les modes de création musicale de quelques groupes de maloya contemporains en insistant sur les stratégies de démarcation ou d’affiliation stylistique qu’ils mettent en œuvre pour se construire une individualité et une réputation. Dans un second temps, nous exposerons les justifications, débats et conflits larvés auxquelles ces stratégies donnent lieu, en insistant notamment sur la façon dont quelques artistes-phares revendiquent et préservent leur originalité.

[Vidéo indisponible]

Victor A. Stoichiţă

(Centre de Recherche en Ethnomusicologie)

Autour de la «création musicale collective»

D’où viennent les mélodies populaires ? Si dans les musiques traditionnelles, la figure de l’interprète semble aller de soi, celle du compositeur est beaucoup plus rare. Partant de ce constat, les ethnomusicologues de la première moitié du XXe siècle (Bartok et Brailoiu en tête) développèrent un débat soutenu autour de la possibilité d’une « création musicale collective ». Tombé en désuétude durant quelques décennies, ce problème resurgit actuellement dans les discussions sur les propriétaires « légitimes » des répertoires traditionnels. Je tenterai de montrer comment les ethnomusicologues ont bâti ces interrogations (sans toujours s’en apercevoir) sur des concepts élaborés dans le cadre particulier de la musique écrite. 

[Vidéo indisponible]

Laurent Aubert
(Ateliers d’Ethnomusicologie, Genève)

L’impossible contrat, ou lorsque deux logiques s’affrontent

 

Chaque disque publié dans la collection AIMP (Archives internationales de musique populaire) fait, comme il se doit, l’objet d’un « Contrat de cession et d’édition d’enregistrements musicaux », établi soit avec « l’artiste » (l’interprète ou son représentant légal), soit, plus fréquemment, avec « l’auteur », c’est-à-dire la personne – ethnomusicologue, anthropologue ou preneur de sons – ayant réalisé les enregistrements, ainsi, généralement, que les textes et les photos qui les accompagnent. Dans ce dernier cas, le contrat stipule que l’auteur garantit être en possession des droits de cession des enregistrements concernés. Certes commode, cette formulation pose cependant certains problèmes déontologiques : un projet de CD proposé par un ami anthropologue sur la musique des Awajún, communauté amérindienne d’Amazonie péruvienne avec laquelle il travaille, me l’a récemment démontré. Des notions comme celles de droit d’auteur ou de propriété intellectuelle s’accordent en effet mal avec les codes en vigueur chez les Awajún : que faire alors lorsque deux logiques et deux systèmes juridiques s’affrontent ?

 

 

Philippe Aigrain
(Sopinspace, Société pour les espaces publics d’information)

Le contexte politique et culturel des batailles du droit d’auteur

 

L’intervention situera les questions de droits intellectuels dans le contexte de l’irruption des techniques informationnelles. Elle expliquera pourquoi les transformations induites rendent impossible un immobilisme de la définition des droits, et retracera brièvement les choix effectués dans les 30 dernières années en faveur d’extension des droits restrictifs à de nouveaux objets, de limitation des droits d’usage et de modification des modes d’exécution.

L’intervenant présentera son approche de définition positive des droits intellectuels (reposant la capacité à obtenir des résultats et non nécessairement sur les droits à restreindre ou interdire). En particulier il discutera :

– Une conception des droits économiques laissant ouvertes les moyens de les garantir et son application au financement mutualisé de la création musicale.

– Les questions ouvertes en matière de droits liés aux cultures traditionnelles et la disjonction possible entre définition des droits d’usage, gouvernance communautaire et juste retour.

– le déplacement souhaitable de partie des droits moraux de la sphère de la loi vers celle des conventions.

 

 

Danièle Bourcier 
(CNRS, Creative Commons France)

Les Musiques du Monde face au droit d’auteur : les licences Creative Commons
sont-elles une solution ?

 

Internet a créé un nouvel environnement où les musiques sont libres, et la radio ne propose pas autre chose depuis des années. Mais libre ne veut pas dire gratuit. Il convient de protéger les auteurs mais on n’est pas obligé de faire appel au droit de la propriété. Les bandes perforées pour piano mécanique ont au départ été considérées comme des copies de partitions; finalement un autre équilibre a été trouvé par la licence globale. Nous en sommes aujourd’hui à un point crucial de l’évolution de la notion d’accès du public aux biens communs culturels. Mais le droit d’auteur limite son dispositif à la notion de bien privé et exclusif et cette conception rencontre de plus en plus de résistance. L’initiative de Creative Commons est née en 2002 aux Etats-unis de cette incapacité des politiques à penser autrement les droits et surtout la liberté des auteurs. Désormais traduites dans plus de 50 pays dont la France, les licences Creative commons accessibles gratuitement sur Internet (fr.creativecommons.fr) donnent le choix aux auteurs de décider s’ils veulent que leur musique ou leurs photos ou leurs livres soient distribués partagés, réutilisés, gratuitement ou non. Est-ce la solution? Plus de 200 000 d’oeuvres sont « taggées » actuellement avec ces licences qui sécurisent aussi le monde d’Internet. D’autres solutions existent mais les CC au-delà des licences sont devenues des communautés de créateurs qui dialoguent et font circuler leurs oeuvres en toute liberté. Des questions subsistent sur les biens collectifs, sur les usages successifs des œuvres mais pour l’instant le dispositif semble satisfaire une bonne partie des auteurs qui veulent entretenir un autre rapport au public, grand inconnu du droit d’auteur classique. Des exemples de Musiques du monde mises sous de telles licences illustreront notre propos.

Jean During
(CNRS, Centre de Recherche en Ethnomusicologie)

Les droits de l’ethnomusicologue : arguments pour un renversement de perspective

 

Copyright suppose l’existence d’une œuvre, d’un auteur et de droits d’exploitation ou copie. D’emblée, l’ethnomusicologue est tenté de réfuter l’universalité des notions d’oeuvre ainsi que d’auteur ou de propriété. Ensuite, concernant les publications de CD ou d’autres supports, la question des droits est presque toujours envisagée dans le souci de défendre les intérêts des musiciens. Fort bien, mais qu’en est-il du droit – au moins moral – du collecteur et du maître d’oeuvre ? Les réflexions proposées dans cette brève intervention s’appuient sur une bonne expérience de la publication de CD (plus d’une quarantaine) dans les contextes culturels et les conditions les plus variées. Qu’il s’agisse de rituels soufis standards ou spécialement organisés, de collecte de chants de bardes amateurs ou professionnels, d’anthologies consacrées à un instrument, d’exhumation d’archives, de répertoires savants préparés sur commande durant une ou plusieurs années, de CDs consacrés à un seul artiste ou de patchwork panoramique d’une culture donnée, à chaque fois, l’ethnomusicologue est lié aux acteurs par un contrat moral et matériel différent.

 

 

Michel Guignard

Le cas de l’ethnie maure

 

L’ethnie maure dispose à la fois de musiques populaires et de la musique savante des griots. La question du copyright se pose surtout chez les seconds. Ceux-ci disposent d’un système musical et d’un répertoire traditionnel communs. Les variantes dans la réalisation « appartiennent » à une région, une famille, ou un griot. Elles portent sur la musique elle même, et sur le style et la qualité de l’exécution. Les griots connus sont immédiatement reconnus. La « modernité » introduit une difficulté supplémentaire due au reformatage des textes anciens et à leur hybridation avec des accompagnements de world music pas forcément originaux. Actuellement, le développement de la diffusion des cassettes et CD rend la situation confuse. La revendication d’une valorisation financière de leur travail est assez générale mais se pose en termes différents dans le pays et à l’international.

 

 

Christine Guillebaud 
(CNRS, Centre de Recherche en Ethnomusicologie)

Copie, parodie, remake : musiques régionales et industrie cinématographique en Inde

 

En Inde, la musique filmi s’inspire des genres les plus divers – du rock au hip-hop, en passant par la musique symphonique, les traditions classiques indiennes ou encore les nombreux répertoires régionaux. Plusieurs chercheurs ont analysé les processus de création à l’œuvre dans la production cinématographique – comme la parodie, le remake ou la narration visuelle. À partir de ces travaux récents, nous montrerons comment la problématique de la « propriété » semble peu pertinente dans ce contexte de production où la multiplicité des sources est cultivée pour elle-même. Nous analyserons ensuite le cas d’une chanson produite en 1999, issue du répertoire des spécialistes de caste manganiyar et recomposée en studio pour le film. Ce procédé courant, loin d’être une simple imitation d’une oeuvre « originale », questionne la notion de propriété sous un angle différent. En effet, suite au succès de la chanson, les musiciens manganiyar semblent avoir aussi intégré certains éléments formels de la composition filmi et les valorisent aujourd’hui au sein de leur répertoire, notamment lors de leurs concerts sur les scènes de festivals de musique du Monde. On montrera enfin comment, dans ce marché prolifique où la copie (illégale) des enregistrements est généralisée, les musiciens les plus socialement marginalisés ont ainsi bénéficié de nouveaux espaces de diffusion.

 

 

Antoine Hennion
(École des Mines)

Soli Dei Gloria

 

Peu de domaines se prêtent plus à l’écriture du passé dans les catégories du présent que « la musique classique », ce curieux objet flottant au dessus du temps, souvent borné par un caractéristique « de Bach-à-Debussy ». Le mot « classique » marque très bien cette production croisée du passé par le présent et du présent par le passé : un présent qui se grandit de la grandeur qu’il reconnaît dans le passé, un passé qui se trouve grandi par le respect que le présent lui porte. Mécanisme complexe, profondément ambivalent, puisque son succès même, en rendant présent le passé, réduit son altérité, parfois jusqu’à une totale assimilation – quoi de moins historique, en effet, qu’une histoire de la musique dont le premier geste est de faire marcher vers nous, en une longue procession, la cohorte bigarrée des compositeurs de tous les temps, venant tels les Rois mages nous offrir leurs « présents »…? Au coeur de cette production d’une histoire sans historicité, il y a quelques notions-clés : l’œuvre, l’auteur, le public – en somme, le vocabulaire de base du copyright. Revenir sur le cas de Bach consisterait moins à critiquer l’anachronisme manifeste qui fait pour nous de lui un auteur (faire une histoire de la notion d’auteur), que de comprendre comment il l’est devenu (faire l’archéologie d’un auteur de l’histoire). Autre façon de lui reconnaître son droit d’auteur : non pas tant sur ses œuvres, que sur la musique comme histoire.

 

 

Julien Jugand
(Doctorant Paris-Ouest Nanterre, Centre de Recherche en Ethnomusicologie)

Une musique sans œuvre et sans compositeur ? Réflexions sur la notion de « composition »
dans la tradition classique de l’Inde du Nord

 

Ce que l’on traduit couramment dans les recherches anglophones sur la musique hindustani par le terme « composition » correspond à une courte formule mélodico-rythmique et, principalement dans le cas du chant, à un poème lyrique. Elle ne représente ainsi qu’une partie infime de la prestation d’un musicien. Pourtant, ces compositions sont l’objet d’enjeux tout particulier. Leur qualité est fort appréciée par les connaisseurs et leur éventuelle rareté peut constituer une fierté, voire un trésor jalousement gardé pour le musicien les connaissant. Dans la musique vocale en particulier, elles sont des vecteurs privilégiés de l’expérience esthétique et émotionnelle. La « valeur » d’une composition est en partie fonction de la personne qui en est l’auteur (souvent supposé). Certains musiciens du Moyen Âge indien sont présentés comme des figures de proue de cette tradition et nombre de compositions encore jouées actuellement leurs sont attribuées. Apparaissent alors en filigrane les questions de légitimité et de distinction entre les lignages musicaux et les savoirs qui leurs sont associés. Réfléchir à la notion de composition (et à celle de « compositeur ») permettra également d’aborder sous un jour particulier certains processus sociaux spécifiques au milieu musical hindustani : la construction des généalogies musicales, l’influence des institutions d’enseignement, le rapport des musiciens à un public changeant, etc.

 

Guillaume Kosmicki

Musique techno, mix, samples : un défi à la notion de propriété

 

La musique techno est l’aboutissement de l’art des disc-jokeys, qui recomposent dans leurs mixes un nouvel univers sonore à partir de disques différents, parfois avec une grande virtuosité. Elle est aussi la musique qui célèbre l’avènement des technologies numériques du son, principalement au travers de l’échantillonnage, dont elle est particulièrement friande. Les samples peuvent être issus de n’importe quelle origine, et bien sûr aussi des extraits de films ou de musique. Ils sont parfois totalement déformés et donc non reconnaissables, d’autres fois légèrement modifiés, ou encore laissés tels quels, comme des clichés ou des clins d’oeil. Le mix et le sample sont les deux gestes esthétiques essentiels de la techno et consacrent les notions de recyclage et de réappropriation, fondamentales pour comprendre cette musique. Mais au delà de l’esthétique, il s’agit là d’une des revendications majeures du mouvement free party, la frange la plus radicale réunie autour de la techno. La notion de propriété y est profondément remise en cause au profit de celles de l’appartenance communautaire, du squat, du nomadisme, du DIY (Do It Yourself) etc. La musique du mouvement free party est donc le reflet exact de ses valeurs.

 

 

Jean Lambert (MNHN, CREM) et Pribislav Pitoëff (CNRS, CREM)

Copyright et archives sonores au Musée de l’Homme

 

La Phonothèque du CREM (plus de 800 collections d’enregistrements originaux) a entrepris une grande consultation des déposants d’archives sonores au Musée de l’Homme. Un contrat adapté aux exigences de la consultation et de la reproduction a été soumis à tous les déposants, afin de leur faire préciser par écrit toutes les clauses possibles d’autorisation ou de restriction de diffusion et d’exploitation des archives qu’ils avaient déposées. Ce fond pose en effet des problèmes juridiques inédits. Le transfert de responsabilité de la conservation des originaux à la Bibliothèque Nationale de France, qui était devenu indispensable, créée un nouvel étage dans l’emboîtement des vertèbres du serpent de mer que représente la chaîne des droits : si celle-ci commençait avec un auteur anonyme, se continuait avec un interprète indigène souvent collectif, se poursuivait par un collecteur apportant des formes très diverses de plus-value à la matière musicale, puis à l’autre bout le CNRS et le Museum National d’Histoire Naturelle, elle se poursuit maintenant avec la BNF qui devient un « dépositaire secondaire ». Diluant encore plus cette chaîne de responsabilités, ces transformations rendent les questions de droit particulièrement byzantines. Par ailleurs, l’exploitation de ces fonds, à partir du moment où ils sont numérisés, décuple elle aussi la casuistique juridique, créant des situations inédites (en particulier avec Internet). Même si la maîtrise des données scientifiques reste le meilleur garant du contrôle du bon usage de ces documents inestimables, la réflexion juridique devient indispensable pour les ethnomusicologues, ne serait-ce que pour assurer une bonne coopération entre institutions patrimoniales et scientifiques.

 

 

Bernard Lortat-Jacob 
(CNRS, Centre de Recherche en Ethnomusicologie)

Pratiques illégales, lois illégitimes ?

 

Le problème des droits d’auteur dans les cultures orales encore bien vivantes pose de nombreux problèmes à l’ethnomusicologue. En Sardaigne notamment (mais aussi en France, comme chacun sait), il existe bien une loi régissant des droits d’auteur (la Società Italiana Autori e Editori, créée en 1941) qui concerne les œuvres ayant un « caractère créatif ». Poser le problème des droits d’auteur revient donc à poser le problème de ce qu’est ce fameux « caractère créatif » et plus largement à reposer la question de la capacité créative de la tradition.

 

 

Julien Mallet
(IRD, président de la SFE)

Institutions, marché et aoly : ordres et désordres autour d’une jeune musique de Madagascar

 

Né de la rencontre d’influences multiples, le tsapiky révèle une grammaire propre lui permettant de s’affirmer dans des contextes de divertissement ou de cérémonies, comme genre musical partagé à l’échelle de la région de Tuléar (Sud-Ouest de Madagascar). La ville est le lieu privilégié où s’affirme son institutionnalisation fragile et balbutiante. Là, s’affrontent des intérêts suscités par un marché dont les règles ne sont pas clairement fixées, laissant toutes leurs places à des pratiques nourries de valeurs et de comportements venus de l’ordre villageois (cf. le recours aux aoly : Amulettes, sorts, comme moyen d’action et d’interprétation). Partie prenante du rituel dans lequel il fait sens, le fonctionnement du tsapiky lui permet de construire et conduire en partie l’événement, de s’y inscrire comme production plutôt que produit. Il n’en demeure pas moins que les musiciens de tsapiky sont des professionnels, inscrits à l’OMDA (office malgache des droits d’auteurs), composent et jouent des « morceaux » diffusés par les cassettes, la radio et les vidéo-clips. Lorsqu’ils jouent pour une cérémonie, c’est aussi au regard de ces considérations. Inscrits dans une certaine marginalité, pris entre plusieurs mondes, les musiciens inventent et réinventent de multiples gestions de l’acculturation, de nouveaux espaces de créativité. En partant de ces considérations, il s’agira d’interroger les notions de création, appropriation, composition, reproduction, propriété… tout en les situant dans les différentes interactions au sein desquelles cette jeune musique, prise entre contraintes et libertés, se crée et évolue.

 

 

Pierre-André Mangolte
(Centre d’Économie de l’Université Paris Nord-CNRS)

Copyright et propriété intellectuelle, retour sur un vieux débat, l’exemple américain


À l’heure actuelle, on parle souvent du copyright comme étant un « droit de propriété » en évoquant alors une certaine « propriété intellectuelle ». On rattache ainsi (explicitement parfois) les droits accordés au principe général de la propriété, alors que le droit de copyright n’est toujours qu’un ensemble de droits spécifiés et limités (bundle of entitlements), attribué à un auteur individuel. En pratique d’ailleurs, le copyright peut couvrir les choses les plus diverses, des livres aux étiquettes de boîtes de conserve en passant par les films, les pantomimes, les logiciels, les enregistrements musicaux, etc., et le terme « auteur » lui-même signifie plus facilement une entreprise qu’un être humain. Pourtant, à l’origine, l’institution était simplement faite pour réguler une industrie particulière, celle de l’édition et du commerce des livres, par l’attribution aux auteurs d’un privilège temporaire d’impression et ré-impression de leurs livres. Mais le copyright va progressivement se transformer au cours du temps et l’institution changer de sens, ce que je voudrai retracer dans ma communication à partir de l’exemple des Etats-Unis, en étudiant plus particulièrement les évolutions du XIXe siècle. Il s’agira donc d’analyser la situation au début du siècle (loi de 1790, etc.) et les représentations de l’institution à l’époque, avec le débat sur le « copyright perpétuel en commun law ». J’expliquerai ensuite l’évolution de la jurisprudence au XIXe siècle, laquelle va construire une conception plus large des droits accordés et une nouvelle définition de l’œuvre comme « création intellectuelle », une sorte de bien intangible et incorporel dont la propriété donne alors un droit exclusif de contrôle et de prélèvement sur tout un ensemble de valeurs marchandes et marchés dérivés. Cette conception est la base de la refonte de la loi en 1909, et permettra, moyennant certaines fictions juridiques et règles particulières (work-for-hire, etc.), l’intégration des nouvelles industries culturelles qui émergent à cette époque et au cours du XXe siècle.

 

 

Rosalia Martinez
(Université Paris 8, Centre de Recherche en Ethnomusicologie)

Déontologies et pratiques ethnomusicologiques

 

Chaque ethnomusicologue construit sur le terrain une déontologie qui lui est propre. Mettant en jeu des questions telles que la restitution du savoir ou le rôle de médiateur avec l’extérieur, cette déontologie – qui se structure souvent dans le doute – est un élément central de l’expérience de l’altérité et de l’échange. Et pourtant, cette partie du métier est souvent passée sous silence. Sur quelles bases s’opère l’interaction ? A quels types d’attente les ethnomusicologues sont-ils confrontés sur leurs terrains respectifs ? Au-delà de la diversité de ces derniers, existerait-il une spécificité des relations qui se tissent autour de l’objet musique ? Invitation à la réflexion collective.

 

 

Guillaume Samson
(
Chargé de mission au Pôle Régional des Musiques Actuelles de La Réunion)

Propriété intellectuelle, statut des œuvres et modes de création musicale
dans le maloya réunionnais

 

Participant d’un renouveau culturel et religieux, le maloya néo-traditionnel réunionnais s’inscrit dans des contextes de performances divers (liés principalement au culte des ancêtres, à l’industrie du disque, au spectacle vivant et au tourisme). En terme de création, cette diversité implique de répondre à des aspirations fortes en matière de représentativité et d’identité culturelle tout en se positionnant artistiquement au sein d’un environnement concurrentiel qui impose de mettre en valeur une créativité individuelle. Cette tension qui s’établit entre représentativité culturelle d’un côté et originalité artistique de l’autre interroge le statut et la valeur accordés aux innovations musicales et textuelles. L’émergence de nouveaux répertoires et de nouvelles identités stylistiques est ainsi constamment tiraillée entre l’affiliation à une « Tradition » (ou à un patrimoine collectif) et la revendication de paternité et de propriété artistiques. Pour illustrer cette problématique, nous présenterons dans un premier temps les modes de création musicale de quelques groupes de maloya contemporains en insistant sur les stratégies de démarcation ou d’affiliation stylistique qu’ils mettent en œuvre pour se construire une individualité et une réputation. Dans un second temps, nous exposerons les justifications, débats et conflits larvés auxquelles ces stratégies donnent lieu, en insistant notamment sur la façon dont quelques artistes-phares revendiquent et préservent leur originalité.

 

 

Victor A. Stoichita
(Centre de Recherche en Ethnomusicologie)

Autour de la création musicale collective

 

D’où viennent les mélodies populaires ? Si dans les musiques traditionnelles, la figure de l’interprète semble aller de soi, celle du compositeur est beaucoup plus rare. Partant de ce constat, les ethnomusicologues de la première moitié du XXe siècle (Bartok et Brailoiu en tête) développèrent un débat soutenu autour de la possibilité d’une « création musicale collective ». Tombé en désuétude durant quelques décennies, ce problème resurgit actuellement dans les discussions sur les propriétaires « légitimes » des répertoires traditionnels. Je tenterai de montrer comment les ethnomusicologues ont bâti ces interrogations (sans toujours s’en apercevoir) sur des concepts élaborés dans le cadre par

Société française d'ethnomusicologie