Appel à contributions: Chant pensé, chant vécu, temps chanté

Chant pensé, chant vécu, temps chanté : Formes, usages et représentations des pratiques vocales. 

Appel à contribution lancé dans le cadre de la publication, aux éditions Camion Blanc, d’un ouvrage collectif placé sous la direction de :

Charlotte POULET (Docteur en anthropologie, École des hautes études en sciences sociales) et

Nicolas BÉNARD DASTARAC (Docteur en histoire, Chercheur associé auprès du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines)

 

Le chant se distingue des autres formes musicales en ne nécessitant que la voix comme instrument. Aussi, bien qu’il puisse s’inscrire en une pratique formalisée, il peut retentir à tout moment, en tout lieu. En outre, le chant est à portée de tous car il n’exige pas d’apprentissage spécifique. Il imprègne donc librement les sphères de la vie sociale ainsi qu’en témoigne une enquête récente selon laquelle 83 % des Français déclarent chanter fréquemment ou occasionnellement1.

Depuis les premières civilisations de l’antiquité (Mésopotamie, Égypte, Grèce, etc.), le chant accompagne la plupart des activités humaines, qu’elles soient d’ordre rituel, religieux, politique, militaire ou festif. Rythmant les évènements sociaux au cours de l’histoire et à travers le monde, cette pratique vocale participe au développement des organisations sociales comme à l’expression des individus. Toutefois, ses formes, ses usages et ses résonances, au sens propre comme au sens figuré, traduisent une vision du monde et une perception de son évolution. En cela, le chant mérite une attention particulière.

Voie d’expression et regard sur la société, le chant est un moyen de célébrer, de transmettre, de ressentir, de mettre en mémoire et de partager. S’il peut être un acte par lequel se tissent les mythes, se fabriquent les héros et se (re)créent les légendes, il exprime aussi le temps du vécu où se mêlent expériences individuelles et collectives. Les chansons, dans leur production (écrite ou orale), leur circulation (directe ou médiatisée) et leur interprétation (vocale ou auditive), donnent quelque chose à entendre – et à voir ­– des femmes et des hommes qui les chantent et les écoutent, des sociétés et des cultures qui leur prêtent corps et voix. Elles traduisent autant une manière de vivre l’espace et le temps que les aspirations de leurs interprètes.

Le chanteur, quel que soit son auditoire, puise en lui l’inspiration de son interprétation. Qu’il improvise ou non, que son chant résulte d’un assemblage de mots ou de sons, il associe à son acte du sens et de l’émotion. Comme dans toute pratique musicale, l’enjeu est de « vibrer », à l’unisson d’un public ou d’une manière plus personnelle. Si le chanteur exprime ainsi de son vécu, il s’inscrit également dans un échange, une communication avec l’autre. Le chant, en tant que pratique de l’oralité, met en partage des références, des expériences, des représentations. Il peut par conséquent exprimer non seulement un parcours individuel, mais une histoire partagée.

Si les chansons peuvent en elles-mêmes se référer à des marqueurs historiques voire mythologiques, tout comme à des passés vécus ou imaginés, c’est aussi l’expérience de l’écoute qui est susceptible de renvoyer l’auditeur à un univers familier. Parfois biographiques ou autobiographiques, les chansons ne le deviennent d’autres fois qu’en étant chantées, vécues, partagées. Leur sens ne se restreint pas à leurs paroles. Plus que raconter ou dire, elles font vivre, ou re-vivre, ressentir, éprouver. C’est à la fois par ces qualités et par leurs possibles usages que les chansons peuvent faire naître un sentiment nostalgique (blues, saudade, etc.), un sentiment d’appartenance (à soi-même, à un groupe) qui ne pourrait être exprimé ou vécu autrement. En cela, le chant contribue à la construction des identités individuelles et collectives.

Sans se restreindre à un champ disciplinaire (histoire, anthropologie, sociologie, musicologie, sciences de l’art, etc.), à une période chronologique ou à un espace géographique, ce projet se propose de mener, à partir des multiples formes du chant (lyrique, scandé, murmuré, vociféré, hurlé, incantatoire, etc.) et de ses nombreux usages (rituel, festif, politique, militaire, religieux, artistique, pédagogique, coercitif), des réflexions autour des orientations thématiques suivantes :

 

1/ Le chant pensé, penser le chant

L’acte de chanter peut rassembler ou diviser. Du monde politique au monde sportif, il peut être le moyen de faire entendre sa voix, d’exprimer son appartenance, de faire passer un message. Si les chansons peuvent parfois être utilisées à ces fins, le fait même de partager un « goût » musical, de chanter ensemble ou d’écouter peut faire naître le sentiment d’appartenir.

  • Les processus de constructions identitaires (individuelles et/ou collectives) ;

  • Les usages institutionnels du chant ;

  • Les enjeux se liant aux pratiques vocales (leur progression, leur diffusion et leur réception médiatique, politique, etc.) ;

  • La constitution, la fonction des hymnes nationaux.

 

2/ Le chant vécu : exprimer, ressentir, partager

La manière dont le chant est interprété, dans tous les sens du terme, constitue une seconde piste de réflexion. L’on pourra s’intéresser aux multiples dimensions de « ce qui est communiqué poétiquement, dans l’ici et maintenant »2 du chant et à l’impact du contexte dans cet échange.

  • Comment une chanson devient-elle signifiante pour un individu et/ou un groupe ?

  • Le rôle de la performance (interprétation, écoute, émotions, etc.) dans l’appropriation ou la réappropriation des chansons et la transmission du sens ;

  • Les relations entre chant et mots ;

  • L’émotion du chant, l’émotion par le chant ;

  • L’expérience de l’écoute ;

  • Communication et langage chanté ;

  • La circulation des chansons et leur réinterprétation à travers le temps et l’espace ;

  • Les échanges et transferts culturels qui s’opèrent à partir du chant ;

  • Impacts et enjeux de la médiatisation (enregistrements sonores, transcriptions, etc.)

 

3/ Le temps chanté : mémoire et histoire

De multiples façons, les chansons se rapportent au temps. Par leurs paroles, leur musicalité ou leur pratique, elles peuvent donner une cohérence aux expériences et du sens au vécu, mettre en partage des références, invoquer des souvenirs, transmettre des récits. Bien que l’acte de chanter emprunte des caractéristiques au « temps raconté » de Paul Ricœur3 en mêlant fictionnalisation et historicisation, en réalisant une synthèse du temps, il relève davantage d’un temps chanté possédant ses propres propriétés qu’il s’agit d’explorer.

  • Relation fiction / histoire dans les chansons, le chant ;

  • Mise en mémoire par la chanson ;

  • Chant et références historiques ;

  • Chant et nostalgie ;

  • Comment le chant refigure-t-il le passé4

  • Comment permet-il de s’approprier ou de se réapproprier l’histoire (ou son histoire), le territoire ?

  • Quels souvenirs porte-t-il ? Comment les amène-t-il dans le présent ?

  • Comment traduit-il l’expérience ? Comment la transmet-il ?

  • Comment le chant use-t-il symboliquement du passé ?

 

Calendrier :

Les propositions de textes (300 mots environ) doivent être adressées avant le 30/09/2011 aux adresses suivantes :

L’ouvrage sera publié aux éditions Camion Blanc en 2012.

 


 

1 Sondage TNS SOFRES, « Votre vie en musique », Enquête sur le rapport des Français à la musique, mai 2005.

2 ZUMTHOR Paul. 1983. Introduction à la poésie orale. Paris : Seuil. (coll. « Poétique »), p. 81.

3 RICŒUR Paul. 1985. Temps et récit, Tome III : Le temps raconté. Paris : Seuil. (coll. « Points/Essais »).

4 D’après le concept de « refiguration » défini par Paul Ricœur, ibid., p. 443.

Société française d'ethnomusicologie