Colloque Collecter, conserver, exploiter les musiques de tradition orale en France et en Europe : « l’âge patrimonial » (c. 1970- c. 2000

Collecter, conserver, exploiter les musiques de tradition orale en France
et en Europe : « l’âge patrimonial » (c. 1970- c. 2000) 

————————————————

MuCEM (Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée),
Marseille, 9-11 janvier 2019

————————————————

Organisé par :

CIRIEF (Centre International de Recherches Interdisciplinaires en Ethnomusicologie de la France),

Ethnopôle – CIRDOC-InOC (Centre International de Recherche et Documentation Occitanes)

LAHIC (Laboratoire d’Anthropologie et d’Histoire de l’Institution de la Culture, IIAC, EHESS-CNRS)

en partenariat avec le Mucem

Ce colloque souhaite explorer le mouvement de collectes orales qui s’est exprimé dans le champ des musiques – et des danses – dites traditionnelles en France et Europe, depuis l’entrée dans l’ère revivaliste (généralement, aux environs du début de la décennie 1970, parfois une ou deux décennies auparavant) jusqu’à l’ère post-revivaliste (seconde moitié des années 2000, environ) (Bithell, Hill, 2014).

Avant  même  l’apparition  et  le  triomphe  de  la  patrimonialisation  onusienne  de l’ « immatériel », des musiciens, danseurs, acteurs culturels se sont fait les praticiens de l’enquête orale, notamment en raison de la démocratisation de l’accès au matériel d’enregistrement. Au départ, davantage tournées vers le recueil militant de la mémoire orale, avec le triple objectif de la réhabilitation de la dignité des cultures musicales paysannes, de leur valorisation artistique et de leur restitution, ont été entreprises, soit à l’échelle individuelle, soit dans un cadre associatif, des collectes d’une ampleur exceptionnelle, d’ailleurs non limitées aux pratiques du chant et de la danse mais incluant aussi la facture instrumentale, ce qui a provoqué en retour un « revival » organologique toujours très vigoureux.

Ainsi, en France où le parcours, en rien exemplaire, appelle le parallèle et la mise en perspective, alors que le mouvement s’est développé à partir du milieu des années 1960, on a assisté à la création de structures associatives, locales ou régionales, dans les années 1970 et 1980 et à la naissance de fonds documentaires structurés et gérés par elles. À la toute fin de la décennie 1990 (Charles-Dominique, Defrance : 2008), la Fédération des associations de musiques et danses traditionnelles (FAMDT), qui coordonnait déjà plusieurs de ces centres de documentation (essentiellement des phonothèques), a été désignée « pôle associé » de la Bibliothèque nationale de France. Ce mouvement s’est accompagné d’une forte reconnaissance institutionnelle du secteur des musiques et danses traditionnelles, dans les années 1980 et 1990, par le ministère de la Culture, puis par les collectivités territoriales (Fabre, Gasnault, Le Gonidec : 2015-2016). Dans le même temps, les fruits des collectes ont acquis le statut d’archives sonores, leur conservation et leur valorisation devenant une préoccupation et un nouvel enjeu. À bien des égards, la chaîne opératoire que l’on constate dans la mise en patrimoine des musiques et danses traditionnelles a préfiguré la « chaîne patrimoniale » (Jacquelin. Cf. Fabre, 2000 : 13) des récentes entreprises de patrimonialisation de l’immatériel.

Un autre aspect de ces collectes revivalistes est qu’elles se sont souvent inscrites dans des mouvements régionalistes et néo-ruralistes, sans doute parce que « parmi les identificateurs à forte portée communautaire, la musique et le chant occupent aujourd’hui le premier rang » (Bromberger, Meyer, 2003 : 358). Cette ethnomusicologie « de soi », « chez soi », voire « pour soi », a contribué à hypostasier et peut-être à survaloriser le terrain, avec la tentation de l’inscrire dans la notion d’« aire culturelle », laquelle est parfois renforcée par celle d’ « aire linguistique ». Or, cette territorialisation, parfois pensée en terme d’isolats culturels,  est  au  cœur  de  la  patrimonialisation,  surtout  dès  lors  qu’il  est  question d’ « inscription » sur les listes du Patrimoine culturel immatériel. Cependant, les tendances localistes et essentialistes qui leur sont généralement associées ne sont pas spécifiques au domaine européen, ni même à l’ethnomusicologie. L’anthropologue américain Robert Redfield (1897-1958) rappelait que « la communauté isolée, autochtone, reste l’image abstraite autour de laquelle l’anthropologie sociale s’est formée ».

D’autre part, l’ « âge patrimonial » auquel ce colloque s’intéresse a été traversé, lui aussi, par les notions d’urgence et de sauvegarde, déjà au cœur du discours des collecteurs romantiques et folkloristes du xixe et du début du xxe siècle (on parlait alors de recueillir et conserver), et que l’on retrouva ensuite chez de très nombreux ethnomusicologues, comme Claudie Marcel-Dubois qui, au sein du Musée national des Arts et traditions populaires (Mnatp), de l’après-guerre jusqu’au début des années 1980, pratiqua une ethnomusicologie d’urgence, intensive. Gilbert Rouget a résumé – et partagé – cette préoccupation en écrivant que « le plus impérieux devoir de l’ethnomusicologie est de recueillir le plus grand nombre possible d’enregistrements musicaux » (Rouget, 1968 : 336). De la sorte, depuis environ un siècle et demi, avec une égale constance, s’est forgé, développé et perpétué ce que Daniel Fabre a appelé le « paradigme des derniers ».

Ce colloque propose donc d’interroger, en France comme en Europe, le mouvement d’enquête des musiques – et des danses – traditionnelles dans toute sa diversité, ainsi que les trajectoires de chercheurs, qu’elles soient revivalistes ou académiques.

En premier lieu, il s’agira de réfléchir aux modalités d’avènement et aux déclinaisons de cet « âge patrimonial », à commencer par les contextes social, politique, culturel, sociétal mais aussi technologique qui le sous-tendent. Dans les années 1960 et 1970, qu’est-ce qui préside à la vocation ethnomusicologique ? De quelle façon cela se manifeste-t-il ? Par ailleurs, si le développement et la démocratisation des techniques d’enregistrement sonore et de captation visuelle semblent évidents dans l’autonomisation et le développement d’une collecte non académique, quelles en sont les modalités et les époques ? En amont – voire en aval – de la collecte, de quelle façon les modes de consommation induits par les productions de l’industrie discographique ont-ils pu agir sur le comportement, voire l’avènement d’un nouvel habitus de l’enquêteur-collecteur ? Au-delà de cette protohistoire, il s’agira de cerner les productions de ce mouvement ainsi que la négociation qui s’est opérée vers une issue qu’on pourrait qualifier de « post-patrimoniale ».

Un autre objectif est d’explorer les interactions entre individus et organisations, les réseaux et mobilités à l’œuvre, tant aux plans local que national voire international, en les situant d’un point de vue chronologique – rencontres fondatrices et enchaînements dessinant parfois des générations très rapprochées et pourtant distinctes. Parmi ces interactions, quelles sont celles qui ont existé – et précisément à quelles époques ? – et celles qui existent encore entre chercheurs académiques et collecteurs revivalistes ? En particulier, sur les terrains français, comment le mouvement associatif de collectage s’est-il construit et développé en regard de l’institution muséographico-scientifique de référence qu’a constitué le Mnatp ? Au-delà, quels rôles ont pu jouer l’ex-Phonothèque nationale, certaines structures muséographiques régionales et, à partir des années 1980, un certain nombre de services départementaux d’archives, dans l’édification de cet « âge patrimonial » revivaliste ? Ces spécificités institutionnelles mises à part, peut-on déceler des similitudes, et/ou des contrastes également marqués, dans les trajectoires des revivals des autres pays européens ?

Enfin, la relation des chercheurs/chercheuses au terrain (et vice-versa) constitue un élément central de la problématique ethnographique. Entre revivalisme et recherche académique, qu’est-ce qui est en jeu dans cette quête ? Quels en sont les objets ? Quelle est la relation de l’enquêteur aux êtres qui l’accueillent, quel est le « pacte ethnographique » (Fabre) qui s’instaure avec l’enquêté.ée ? Entre quête d’un « son » – un « son-monde » ? – et d’un « individu-monde » (Fabre), quelles priorités se dessinent-elles, et pour quelles recherches ? Dans quelles temporalités ou dans quels contextes ? Dans ce cheminement, quel enjeu personnel se joue-t-il pour l’ethnographe ?

Construit en fonction de ces trois axes problématiques, le programme du colloque alternera des sessions de communications avec des tables rondes favorisant les témoignages et prises de parole des protagonistes.

La participation au colloque est gratuite.

Les propositions d’intervention (résumé de 3000 signes maximum, titre inclus, et complété par un court CV, sont à envoyer avant le 3 septembre 2018 à :

l.charles-dominique@wanadoo.fr.

Comité d’organisation :

Jean-Jacques CASTÉRET (Ethnopôle CIRDOC-InOC)

Luc CHARLES-DOMINIQUE (Université Nice Côte d’Azur)

Aude FANLO (Mucem)

François GASNAULT (IIAC-LAHIC)

Cyril ISNART (IDEMEC, AMU-CNRS)

Raffaele PINELLI (doctorant Universités Nice Côte d’Azur et La Sapienza-Rome)

Comité scientifique :

Jaume AYATS i ABEYÀ (Musée de la Musique de Barcelone)

Marlène BELLY (Université de Poitiers)

Jean-Jacques CASTÉRET (Ethnopôle CIRDOC-InOC)

Luc CHARLES-DOMINIQUE (Université Nice Côte d’Azur)

François GASNAULT (IIAC-LAHIC)

Francesco GIANNATTASIO (Université La Sapienza-Rome)

Giovanni GIURATI (Université La Sapienza-Rome)

Cyril ISNART (IDEMEC, AMU-CNRS)

Denis LABORDE (Centre Georg Simmel, EHESS-CNRS)

Marie-Barbara LE GONIDEC (IIAC-LAHIC)

Ignazio MACHIARELLA (Université de Cagliari)

Raffaele PINELLI (doctorant Universités Côte d’Azur et La Sapienza-Rome)

Société française d'ethnomusicologie